vendredi 31 décembre 2010

Un jour étrange

Les profils se superposent. C'est assez étrange. La même loi, les mêmes histoires, la même série : la famille aspirée par son orgueil, les obscénités incrustées à l'arrière du crâne, le père qui gît au fond de soi, le chuintement plaintif de la masse esseulée, les morts qui ne le sont pas encore tout à fait, et le rendu par l'image, impeccable, configuré sous des apparences cosmétiques. L'ère de l'empathie et de la gloriole s'ouvre au plus offrant. La Cour des Miracles en papier mâché dessine ses propres contours, effaçant ici ou là les mauvais perdants. Tu as le droit de rejouer ! Tu as le droit de mettre en jeu tes sentiments ! Que décides-tu ? Oublier que nous avons été ? Moi je ne peux pas me résigner. Je me cramponne. J'observe le défilé de ces visages martelés, fendus, qui tapissent nos murs. Je les vois comme je te vois. J'ai envie de gueuler :

"...And the sand
And the sea grows
I close my eyes
Move slowly through drowning waves
Going away
On a strange day

My head falls backs
And the walls crash down
And the sky
And the impossible
Explode
Held for one moment I remember a song
An impression of sound
Then everything is gone
Forever

A strange day..."*

* THE CURE, "A Strange Day", PORNOGRAPHY.

mercredi 29 décembre 2010

La réponse

Aux levants amovibles
se détourne l'écrin
où se lorgnent tribales
mes obsèques chroniques.

Tout aigri de la perte
barbelure exsudée
le refus s'amoncelle
en un songe endurci.

mardi 21 décembre 2010

Carrousel

Sur le rythme enfiévré de la pluie qui harcèle, les égoûts d'univers charrient mes tentations.
Premier jour de l'hiver 2010. L'illusion vient à manquer.
Je devine que le monde est ailleurs et que je suis ici, que la main autrefois caressante racle aujourd'hui le résidu de mes travers.
Dans sa spire à ciel ouvert, l'insolente oppression défonce ma dernière fibre.
Je vacille sous l'averse, courbattu dans les heurts, en un mot carrousel.
Regardez-le se dresser comme une saillie drôlatique ! Laissez son coeur se tordre et se rompre ! Ignorez-le ! Riez ! Riez et faites votre deuil de ce mort-né !

dimanche 12 décembre 2010

Chambre 413

Les geckos grouillent sur le plafond. La terrasse au karkadé se noie dans mes pensées. Je surnage entre deux eaux, SOLAL* au creux des mains. Les chambres d'hôtels défilent avec les années. Fathy se tient debout sur le seuil, affublé d'un uniforme de groom beaucoup trop grand pour lui. Cela fait 15 ans. Il n'a plus de visage. Je descends chez Gaddis pour t'acheter une carte postale que je ne t'enverrai pas. Demain je prends le bac. Il est encore temps de profaner la dernière cité.

Plus haut, là où Nasser a vu grand, l'île Elephantine semble dériver dans sa brume orangée. Les antiques tessons remontent à la surface. Chambre 413 en Nubie. La voix du muezzin bourdonne. Le haut-parleur crépite. De mon promontoire en béton armé, j'affûte mon regard sur la vallée du Nil. Je crois voir le sable manger le blé. Le sol s'effrite sous l'effet de la chaleur. La terre est souveraine. Ma tête cogne. Je m'accroche au garde-corps avant de basculer.

Je suis penché sur les photos de la montagne artificielle. Il y a ce bus étouffant, cette poussière et ces départs avortés. Je ne te l'ai jamais dit, mais c'est sur le chemin du retour que le mirage est apparu, à l'endroit précis où nous franchissions le Tropique du Cancer. Je claque des dents. Le froid me glace. Je ne suis pas fait pour vivre loin d'ici. Je me plonge dans ton lit et prends le risque de m'asseoir au fond.

* ALBERT COHEN, SOLAL.

vendredi 3 décembre 2010

La nébuleuse d'hiver

Des bulles d'air courent dans le radiateur. PROGRESS REFORM* entame son troisième tour. Le cèdre plie derrière la vitre. La neige est noire. Mes yeux se consument, rougis par la fatigue. Au-dessus de moi, les murs se décolorent. Tout devient flou, impraticable. Les contours se soudent, fondus dans la masse. La maison est transparente et ronde.
Je retrace dans le vide, les débris, les fracas. Des empreintes incongrues se collent sur ma rétine, des pans de mémoire, des fragments écrasés. La saison n'est pas commencée et déjà je compte les nuits. Mes années se disloquent au milieu de la pièce, comme un monde miniature en déroute que je ne reconnais plus. Je regarde à l'envers. Je m'absente.

"It was such a lovely party
Before the accident occured
The ambulance came and took you away
Before the coffee was served..."**

Pourtant, tout vient de l'intérieur, un peu comme une faim de loup, un ventre vide, une longue journée en travers de soi. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer. Je sais que je dois rester. Je suis rattrapé.

* I LIKE TRAINS.
** I LIKE TRAINS, "The Accident", PROGRESS REFORM.

mercredi 24 novembre 2010

Les solitudes

Un ciel délavé, froid, s'ouvre sur des solitudes en partage.
L'arbre se dresse devant moi.
Sa dernière feuille argentée défie les lois de l'automne. Mon sang n'est plus que sève. Je suis perdu dans ma lecture, dans tes caractères. J'aspire, je respire. Je te découvre en moi. Loin des sentiments feints, jetés à la volée, dont la spirale m'abreuve, je trouve un point d'ancrage.
L'arbre me tombe dessus.
La bouffée d'air est brutale, inespérée, elle me brûle la gorge, s'engouffre dans mon thorax, s'enracine dans mes chairs.
A l'aplomb de tes 200 millions d'années, je m'accorde un laps de temps, un instant tout au plus, balisé d'un sourire, ton sourire. Ton nom m'importe peu, ta présence me suffit. Je reprends ton souffle.
L'arbre s'enfonce dans l'hiver.

mardi 16 novembre 2010

Le déclin

Il resserre les doigts
sur de vils matins clairs,
les épaules froissées
affleurées de sang froid,
dérivant à l'excès,
tailladé à l'insu,
en cherchant au verso
les rectos défendus.
L'inégale chaleur,
indolente et sincère,
se faufile en silence
sous des cadres en bois.

dimanche 14 novembre 2010

Nature morte

Mourir en soi
désenlacé
cisailles en sus
sous-cutanées
la nature morte
de faux bascule
en un sourire
lèvre gercée.

Bouche cousue

Je me souviens de chacune de tes visites. Je te vois encore arpenter mon cabinet de curiosités, sous les cris sourds de mes oiseaux et de mes fauves de paille.
Combien de fois as-tu rêvé dans mon capharnaüm, devant mes bizarreries, mes collections d'insectes et mes bocaux sans vie ?
Parfois, même si tu n'exprimais rien d'autre que je ne savais déjà, il m'arrivait de croire que tout était possible, qu'il existait un endroit que l'on ne trouvait ni dans mes herbiers, ni dans mes vanités. Mais tu savais aussi qu'on ne vient pas chez moi par hasard et le temps vint où il fallut te faire peau neuve.
Te souviens-tu de ton sourire, celui que j'ai cousu sur ta bouche pour en garder l'attrait ?
Te souviens-tu que tu avais un coeur ? Que ton coeur sur la main, qu'il m'a plu d'arracher, je l'ai serré si fort au point de l'assécher ?
Te souviens-tu de notre dernière rencontre, de ce jour où j'ai dépouillé ton corps, du soin que j'ai pris pour le déformer et le recomposer en un semblant d'humanité ?
Tu ne t'en souviens pas ? Tu ne réponds pas ?

jeudi 11 novembre 2010

Les lucioles

Il est peut-être temps de sortir tête nue, de ralentir le pas et de faire courir mes mains sur le plat des murs.
Depuis peu, l'oeil a retrouvé son orbite. Il fixe sans jamais décevoir. L'oeil n'a aucun éclat, mais brille parfois en lorgnant ici-bas. Je peux observer, discerner et me fendre d'un nouvel angle de vue.

Au bout de mes doigts, les lucioles se réveillent. Leur souffle me démange. Je les vois pointer le bout de leur panse et se fondre en une lueur commune. J'ai par trop longtemps renâclé à les écouter. Je vais désormais les laisser m'amadouer et m'inspirer.

Quoi qu'il arrive, si la tentation de l'échec devient trop forte, si elle réprime mes élans les plus élémentaires, si mon crâne se fossilise sous son propre poids au point de ne plus pouvoir libérer l'écho de mes doutes, alors j'en prendrais la mesure et je rongerais mes peaux mortes.
Pour autant, aujourd'hui j'imbrique des mots et ne m'impose aucune restriction. Et si j'en juge par l'agitation, le mot d'ordre n'est pas de mise.