dimanche 27 mars 2011

Variations

Dans la chambre aux capitons s'empilent des nuques et des têtes au carré.
L'expression varie.
Frénétiquement, les têtes s'interposent,  se superposent en un faisceau ininterrompu de portraits et de fragments. Les unes naissent des autres, de leurs propres effets et, pendant que le poumon expire ses craintes, la procession grossit ses rangs.
Des coupes franches sont pratiquées dans la masse. Les faces cachées se profilent un instant avant de s'estomper engluées, atterrées. Dans le cortège, l'expérience clinique s'opère.
L'image entre en décomposition comme un révélateur de l'intime. La fermentation est immédiate, incisive. Le sentiment prend forme. Ce sentiment commun d'exister différemment dans l'oeil de l'autre, lorsque la torpeur étreint, lorsque le soir couvre les corps d'une esthétique funeste et que l'esprit et les sens s'éveillent à l'obscurité.
Au fond du kaléidoscope, les têtes dévisagées, transfigurées ouvrent des brèches. Des pans entiers de peaux sortent des tiroirs. Une kyrielle de têtes avariées, rafistolées. Des coeurs muets à la chaleur oppressante. Des seins pointés vers demain, là-bas.
Une impression fidèle, plurielle.
Tenus entre les mains, les mentons se déboîtent, les joues se creusent et les mâchoires cariées agonisent.
Ténu le souffle court après le jour.
Elle est en elle.
à Hann.


Autoportrait / Laurent / Autoportrait
Illustrations Hann Reverdy - 2010/2011

jeudi 10 mars 2011

Futur simple

Il y a un âge à ne pas franchir.
Tu vas récupérer ta courbe de croissance, coincer ton coeur sous une pierre et remonter l'allée de croix. Tu laisseras de côté toutes les nuits passées sur le palier et l'odeur de la cire sur la rampe en bois.
Tu marcheras droit en dissimulant le tremblement de tes mains.
A l'heure sombre du coucher, sous la raideur du froid, tu choisiras une rue en verre avec des fenêtres et des portes opaques. Il suffira de te frotter à quelques ventres pour demander ta route. Tu voleras du plaisir sans partage au point de t'abrutir. Tu prendras la tangente. Tu refuseras de baisser les yeux. Il te faudra apprendre à pleurer. Ton corps finira par se disloquer, les muscles distendus, rabattus. Tu chercheras tes mots, tu bredouilleras, tu te domineras.
Un jour peut-être tu te réveilleras. Tu auras encore 7 ans. La salle de jeux paraîtra singulièrement lumineuse et sur ce terrain propice et vague, l'obscène intrusion n'aura jamais existé.