Un choc intégral, viscéral même, oui ! Presque un cauchemar… cependant recouvré avec délice, comme nimbé d’un sucre acide et légèrement écœurant certes -de par le sujet un brin scabreux- mais si délectable en finalité. C’est l’humour noir de jais qui prime ici, mais en existe-t-il réellement un autre ? Car le voyage halluciné dans cette vaste nécropole de peintures, déjà reconnaissable entre mille, évoque à mon sens autant les fœtus déformés et formolés d’anciens muséums qu’une collection jusqu’au-boutiste -presque drôle sinon attendrissante- de caractères psychologiques typiquement humains. Une véritable cartographie du subconscient simplement mortel des hommes, ainsi que de ses zones d’ombres face à une fin impossible à admettre et pourtant inévitable. Soit de petits morts-vivants aux clins d’yeux ravageurs qui semblent mollement décompter « ce temps qui résolument ne passe pas… ».
Galerie de chairs pourrissantes et d’os à vif, l’orbite du crâne est souvent creuse et l’œil restant se trouve par le fait expressif à en sangloter. Un seul regard, oui, mais décisif comme un trait de rasoir. On pourra alors noter les différences essentielles (style, texture, matière, teinte, impression ressentie...) entre tel ou tel tableau et jouer à un jeu des différences aussi ludique qu’infini.Vaste variation sur le même thème : le crâne « émotif ». Malgré le trauma émotionnel qui saisira peut-être les plus sensibles -un « cimetière d’enfants » reste « un cimetière », du moins si c’est le propos- c’est pourtant la beauté complexe du corps humain ainsi que la grandeur de ses sentiments propres qui transpirent et s’exsudent de l’ensemble de l’œuvre. Car cet art-là s’avère éminemment sensible, sensitif, sensoriel et donc pleinement abouti… et sensé. Alors, atrocement mignon ? Juvénilement macabre ? En effet, ce qui frappe d’emblée dans le travail pictural de Laurent Fièvre c’est la dichotomie étrange entre l’insoutenable morbidité de ses squelettes torturés puis, rigoureusement en même temps, l’adorable air enfantin pétri d’une innocence -voire d’une certaine malice- qui ne les quittera plus jamais.
Démarche artistique extrême à la mécanique originale et complexe que celle de représenter « la Mort au berceau » dans une suite de portraits, parfois titrés de prénoms anglophones, pour le fun peut-être ? Un néophyte de la technique et de l’histoire de l’art graphique comme moi peut néanmoins penser à la fois aux dantesques catacombes des plus grandes villes, aux momies égyptiennes ou incas, aux « Fleurs du Mal » de Baudelaire (magnifier l’insoutenable avec une poésie « de qualité, malgré la poids de l’existence ») et aux bébés pustuleux en totale décomposition du peintre H.R. Giger (Landscape XVIII), sans toutefois le côté horrifique trop axé sur le dégoût. On se rapproche plutôt ici de créatures Burtoniennes auréolées d’une tendresse infinie et d’une attitude des plus respectueuses vis à vis du sujet macabre. Car ces personnages -autrement dit très souvent des cadavres infantiles- sont tour à tour momifiés, calcifiés, amputés, moisis, brûlés, démembrés, etc.
Laurent Fièvre donne ainsi à voir, semble-t-il, sa vision du spectre général de la vie, soit l’arche d’existences brisées : bambins morts-nés à têtes démesurées et pourtant vivants (primeur de l’intellect sur le corps ?), aux moues ou aux regards imparables, emplis de dérision et si nobles pourtant. « Tordu » sans jamais être complaisant, tendre et riche en émotion tout en évitant le nauséeux, le trip dans le livre d’art de Laurent Fièvre « L’Intimité Partagée » se révèle indispensable à tout amateur de bizarreries figuratives et vaut nettement son pesant d’osselets issus du crâne fiévreux d’un être créatif aujourd'hui au sommet de son art.
Wilhelm Leonide Von Goldmund
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